
« First Man »
Allo Houston, ici la Lune ! Bonjour les cinéphiles !
Après les « 16 levers de Soleil », le film de Pierre-Emmanuel Le Goff sur Thomas Pesquet le cinéma nous gâte à nouveau en ces mois d’octobre et novembre 2018 avec un biopic autour de l’alunissage et les premiers pas d’êtres humains sur la Lune. A 9 mois du cinquantième anniversaire de cet évènement, Damien Chazelle, cinéaste et réalisateur franco-américain, nous propose un long-métrage de 2h20 sur Neil Armstrong, l’astronaute américain sélectionné et choisi pour réaliser l’exploit. Interprété par Ryan Gosling dans le rôle de Neil, le film reprend le récit de James Hansen, « First Man : The Life of Neil Armstrong », la biographie officielle du héros.
Je viens partager le plaisir d’avoir vu ce film, car il apporte une nouvelle dimension à la présentation d’un des plus grands évènements qui a marqué l’adolescence de notre génération.
Dès les premières scènes, on comprend bien que Damien Chazelle donne deux fils rouges à sa création cinématographique, la passion obsessionnelle de cet homme pour l’aviation et le décès de sa fille d’une tumeur à l’âge de deux ans et demi. Le mélange subtil et bien dosé de ces deux ingrédients donne corps à un film d’action et d’émotions qui plaît à ceux qui étaient devant leur téléviseur en 1969 autant qu’aux jeunes de nos jours qui s’étonnent comment ces carlingues branlantes pouvaient séduire des fous.
En effet, les actions spectaculaires démarrent dans un avion de test X-15 qui rebondit sur les couches de la stratosphère, se poursuivent plus tard avec la capsule Gemini-8 qui subit les méfaits d’un défaut de stabilisation pour se finir avec la fusée Saturne-5 et la capsule Appolo-11 qui permettent d’atterrir le LEM sur la Lune et de revenir sur Terre. Dans l’épreuve des actions, loin de tout mélodrame, Damien Chazelle prend le parti de montrer les candidats astronautes déterminés et résolus. Parfois dans une compétition et une rivalité, parfois dans une confraternité de voisins, ils se côtoient sans excès souvent dans le silence, en attente des épreuves physiques éprouvantes qui finissent parfois par les emmener dans la mort. Les moments d’exercices et de vols dans l’espace alternent avec la vie de tous les jours en famille. Ce rythme accentué tantôt par les vaisseaux spatiaux, tantôt par les Cadillac des années soixante met en relief la personnalité complexe, taciturne et introvertie de Neil Armstrong. Va-t-il dire à ses enfants qu’il part pour la Lune ? L’exigence de sa femme tourne au drame familial. Damien Chazelle raconte du vrai comme dans la scène où Madame Armstrong vient faire un scandale dans les bureaux de la NASA pour qu’on remette le son dans son haut-parleur, prête à écouter l’éventuelle mort en direct de son mari. Le courage des femmes et des épouses, mères de famille de l’Amérique des 30 glorieuses, contraste souvent avec l’inconscience de leur boyscout de mari. La mort des héros est retirée pour des flashs back avec la douceur cruelle du papa meurtri par la disparition de sa fille chérie. Nous ne saurons jamais ce qu’Armstrong a fait au bord du cratère sur la Lune aux bords si abrupts et profonds qu’il n’en voyait pas le fond. Y a-t-il vraiment jeté le bracelet de sa fille ? Nous ne le saurons jamais.
Le choix de Damien Chazelle de présenter Neil Armstrong comme un père troublé, perturbé et poursuivi par la douleur de sa fille est un choix romanesque et scénographique intéressant. Il lui permet de sortir le héros américain de sa sacro-sainte étoffe d’invincibilité. Il lui donne une dimension plus quotidienne. Il offre aussi aux femmes, même si elles conservent un second rôle, une force d’action, de remise en cause des codes masculins. Elles viennent bousculer les tendres machos et les retirer à leurs jeux de mécano pour les remettre devant leurs responsabilités terrestres. Ce choix donne sans aucun doute une dimension nouvelle au cinéma d’action.
Personnellement j’aurai peut-être apprécié moins d’effets mélodramatiques au profit d’une étude plus approfondie de ce personnage qu’était Neil Armstrong. Il y avait moyen avec le contexte de cette aventure humaine pendant la guerre froide de donner une autre dimension historique et cinématographique à un être humain masculin caractérisé par une personnalité aussi typée. Neil Armstrong était, il est vrai, réservé et impersonnel, plutôt distant et détaché, obnubilé par une passion devenue obsessionnelle qui faisait de lui un homme solitaire et souvent introverti. Je ne peux m’empêcher de penser à Andreï Tarkovski qui réalisa « Solaris » en 1972, un long métrage à partir du récit de Stalislam Lem sur un voyage spatial troublé par les mystères de la personnalité humaine. Le sujet fût d’ailleurs repris en 2002 par Steven Soderbergh avec Georges Clooney comme acteur. Je ne souhaite pas opposer science-fiction et biopic romancé, mais il y avait avec Neil Armstrong et son voyage sur la Lune, matière et occasion d’aller plus loin dans la représentation cinématographique d’un vécu extraordinaire pour un être humain qui n’était pas moins un homme, un mari, un père de famille à sa façon, une identité qui faisait de lui un homme non pas ordinaire mais commun au sens qu’il pourrait nous croiser à chaque instant avec ses qualités et ses nombreux défauts. « First man » reste néanmoins un très beau film à voir absolument.
Roger Hellot, novembre 2018.