Allo l’ISS, ici la Terre ! Bonjour les cinéphiles !

« « 16 levers de Soleil » (Lecture: 6 mn)

Allo l’ISS, ici la Terre ! Bonjour les cinéphiles !

Jeudi 10 octobre dernier le décollage de la fusée Soyouz MS-10, qui devait permettre d’emmener l’astronaute américain Nick Hague et le cosmonaute russe Alexeï Ovtchinine vers la Station spatiale internationale (ISS), a connu une extinction inattendue du moteur du 2ème étage après le largage des boosters. Après un peu plus de 2 minutes de vol, à 1750 km/h et déjà à plus de 100 km d’altitude, l’équipage a dû interrompre son ascension et procéder à un atterrissage de secours qui s’est fort heureusement bien passé conformément à la procédure. Les spationautes ont pu être récupérés sains et saufs dans le désert du Kazakhstan, près de la ville de Jezkasgan à 400 km du lieu de décollage après un court vol balistique. Le parachute de freinage sert aussi ces situations inattendues.

Ce qui est étonnant est que les voyages habités vers l’espace et en ce moment surtout vers la Station spatiale sont devenus tellement banals que cet incident est passé inaperçu dans la presse en tout genre ou au pire n’a fait l’objet que d’un entrefilet. Ironie du sort, les cinémas en France diffusaient la même semaine le film de Thomas Pesquet, « 16 levers de Soleil ». Et c’est en fait de ce documentaire que je voulais vous parler initialement. L’actualité nous rappelle donc que ces voyages technologiques sont loin d’être naturels et qu’ils représentent une vraie prouesse technique jamais dépourvue de risques et de dangers, loin s’en faut !

« 16 levers de Soleil » est un film, une œuvre du cinéaste Pierre-Emmanuel Le Goff qui a suivi Thomas Pesquet, le dernier en date des spationautes français, avant et après ses péripéties spatiales en mettant également bout à bout les enregistrements de celui-ci pendant son séjour dans l’espace. Notre spationaute avait décollé de Baïkonour le 17 novembre 2016 pour rejoindre à bord d’une fusée Soyouz la Station spatiale international (ISS). A bord, il est resté en orbite à 450 km pendant presque 200 jours. Il y a partagé son temps entre la réalisation d’expériences scientifiques et la maintenance de la station spatiale. Quatre sorties dans l’espace furent même programmées pour permettre à notre champion national de se jeter dans le vide interplanétaire.
Le film de Pierre-Emmanuel Le Goff démarre avec des scènes filmées avec une caméra de poche dans le désert du Kazakhstan à la tombée de la nuit peu de temps après le retour des cosmonautes sur Terre. Le ballet étrange des hélicoptères et les techniciens qui secouent la capsule vide avant son rapatriement donnent le ton de ce documentaire d’un voyage onirique, étrange mais profondément romantique. En toile de fond, Thomas Pesquet tisse lentement entre lui et ses lectures des écrits de Saint-Exupéry dont il a emporté les œuvres complètes, un dialogue qui démarre dans un taxi parisien pour s’éteindre dans un jeu de saxophone que notre voyageur entonne devant les hublots de son vaisseau qui surplombent une terre décidément bien fragile.
La caméra de Pierre-Emmanuel Le Goff reste discrète, filme de loin comme un regard indiscret l’intimité des derniers repas en famille, les longs adieux aux amis, puis les nombreux rituels et embrassades des techniciens, ingénieurs et responsables russes avant le décollage. Il règne en permanence une intensité humaine profondément chaleureuse, une ambiance familiale comme si l’adieu vers le voyage dans l’espace n’était autre qu’un mariage et non un adieu, auquel s’invite un pope pour arroser de larges bénédictions avec son pinceau, les voyageurs et leur vaisseau. J’ai cru assister au départ de Christophe Colomb vers les Indes.
Le décollage toujours impressionnant est suivi d’images pathétiques des trois cosmonautes en position fœtale dans leur minuscule diligence. Il faut rester engoncé pendant 2 jours dans un scaphandre avant d’atteindre les couloirs et les boyaux de la station promise. Etonnamment les visages sont concentrés et sans émotion. Ils témoignent l’impatience de la liberté des mouvements. Mais les gestes restent sûr et maîtrisés. La baguette du commandant pour appuyer sur les gros boutons d’un autre âge contraste avec la tablette numérique qui donnent les instructions sous le regard vérificateur du second à bord qui conserve l’usage du carnet en papier.

A l’arrivée, à bord de la station, les autres locataires présents depuis des semaines, assurent l’accueil avant de laisser pour la suite du reportage la caméra à Thomas Pesquet. Les dialogues restent discrets. La parole est souvent donnée à Saint-Exupéry pour ponctuer des parallèles entre l’œuvre du célèbre pilote et la vie des sensations à bord. Le travail des astronautes est montré mais peu commenté dans le détail. Seul comptent les impressions, les sentiments et les émotions comme la scène de l’anniversaire de Peggy, la collègue américaine qui finit en larmes. La vie semble calme et paisible à bord. Pourtant, c’est cette introversion qui installe le relief au film et la tension chez le spectateur. Le frisson nous reprend lors des sorties dans l’espace. Il faut mener à bien des réparations autour de la carlingue. Après le fastidieux habillage des scaphandres de sortie, Thomas Pesquet filme en gros plan le besoin de s’accrocher et assurer sa sécurité. Pendant ce temps, une couverture de protection des scaphandres tombe de la porte de la station, se perd et s’en va, glisse, s’enfonce dans l’espace en direction de la Terre comme une feuille morte. Le long suivi de cette perte contraste avec le danger qu’elle représentera pour les voyages futurs et les corrections qu’il faudra donner aux trajectoires de la station et des satellites.
Le périple est fascinant, les vues sur la terre, les levers et les couchers de soleil sont d’une beauté subtile et le silence qui les entoure ne cache pas l’extrême faiblesse de la nature. L’épaisseur ridicule de notre atmosphère autour de notre planète surprend. Elle laisse entrevoir des nuages qui donnent la mesure de la fragilité de notre monde.
Après un séjour de près de 200 jours, il faut redescendre. Le film montre à nouveau nos cosmonautes qui prennent place dans les coques fœtales de la diligence et se laisser glisser doucement vers l’atmosphère terrestre. L’embrasement de la capsule n’impressionne pas nos voyageurs pendant la descente mais ils sont bien éprouvés, à l’arrivée, par le choc brutal du contact avec la terre et la reprise des sensations de la gravité. La physique se démontre par les expériences vécues.
Le cinéaste Pierre-Emmanuel Le Goff nous livre avec ce film un magnifique montage co-réalisé avec son reporter, le spationaute Thomas Pesquet en personne. Même si l’idée de la contemplation associée à la poésie de Saint-Exupéry est parfois un peu trop présente et donne au film une touche trop artificielle, l’espace continue à nous faire rêver. Je vous invite au cinéma. Vous sortirez de ce film, certainement comme moi, un peu en apesanteur et charmée par l’aventure.

Roger HELLOT, octobre 2018.

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